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mercredi 17 avril 2013

Pour le Grand-Rabbin Gilles Bernheim :« Qu’il vive !»

Tribune Libre

"Ce que je regarde" a pris aujourd'hui la décision de publier un article plus engagé qu’à l’ordinaire, écrit par Samuel Nathan. En dépit d'un point de vue rédactionnel assez partagé sur l’affaire Bernheim, nous avons apprécié la qualité de cet article et pour des raisons « humaines », nous pensons qu’il peut figurer dans notre blog. L’homme malgré ses grandeurs fait des erreurs surtout quand il est question de quête de pouvoir et d’ego. Mais nous considérons que l’acharnement médiatique et le "politico-franco-correct" ne sont pas des valeurs.
Et nous ne savons que trop que l’erreur est humaine…
Bonne lecture!  

 

Crédits photo : http://www.cimetz.org/

Lors de sa campagne électorale de 2008, le rabbin candidat Gilles Bernheim avait rendu visite à la petite communauté de province du sud-est que je fréquentais et il avait commencé son propos en disant en substance - je cite de mémoire - : « Voilà : supposons que nous remportons l’élection le 22 juin. Que faisons-nous le 23 au matin ? ». La question m’avait saisi beaucoup plus que la réponse que ma mémoire défaillante n’a pas retenue car elle posait le problème du jour d’après dans la confrontation d’une solitude humaine et d’une charge nouvelle, immense et difficile. Et force est de reconnaître que depuis le 1er janvier 2009, date d’entrée en fonction jusqu’à ces dernières semaines de tempête et ce 11 avril 2013, son parcours strictement rabbinique fut un parcours d’excellence, un parcours sans faute, sans tâche ni fausse note.
Comment donc le Grand Rabbin en congé du Grand Rabbinat de France a-t-il vécu ce 12 avril 2013 ? La question, par l’estime et la compassion dont elle est chargée, se veut rhétorique car dénuée de toute curiosité malsaine. « On ne questionne pas un homme ému », dit justement René Char dans le poème  extrait des Matinaux et intitulé « Qu’il vive ! » dont les versets qui suivent, par l’utopie dont ils sont porteurs, permettront peut-être de retrouver une sérénité de pensée qui semble avoir été perdue au cours de ces derniers jours. 



  Qu'il vive !
 
Ce pays n'est qu'un vœu de l'esprit, un contre sépulcre.
 
Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.
La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu'importe à l'attentif. 
Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému. 
Il n'y a pas d'ombre maligne sur la barque chavirée.
Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.
 
On n'emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.
 
Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n'avoir pas de fruits. 
On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur. 
Dans mon pays, on remercie 

Reprenons les mots clés qui ont structuré le débat autour de la mise en congé du Grand Rabbin de France et tout d’abord le mot plagiat. Les idées que les mots expriment appartiennent au bien public. C’est grâce aux idées émises par nos prédécesseurs et par nos contemporains que nous pensons, travaillons, créons. Qui se croit détenteur d’idées de génie (!) prend soin de les protéger afin d’en éviter le pillage mais leur publication les met de facto à la disposition du grand public. Et la fin tragique de toute idée géniale réside dans sa reprise. Une idée géniale cantonnée dans sa confidentialité ne l’est peut-être pas car si elle l’était, on l’emprunterait…

En revanche, la forme ou la formulation d’une idée, qui relève d’un style particulier qui fait par exemple que « la manière » d’écrire de Proust n’a rien de commun avec celles de Malraux ou de Balzac même si ces trois auteurs évoquent le même thème, relève de la propriété littéraire et peut constituer un plagiat ou un vol littéraire si l’emprunt n’est pas accompagné de la traçabilité de sa source. Il existe une véritable tradition universitaire pleine de sagesse et de clarté selon laquelle on enseigne aux doctorants la façon de rédiger et de présenter des citations ou des notes de bas de pages. Il existe aussi malheureusement une dérive insuffisamment sanctionnée par l’Université française de la part de certains étudiants indélicats qui pratiquent le plagiat à haute dose pour rédiger leur thèse. Par ailleurs, la tradition talmudique montre, à longueur de pages, que l’avis juridique exprimé par un maître s’appuie sur l’avis d’un autre maître qui lui-même s’appuie sur un autre maître et parfois ainsi de nombreuses fois, non seulement par humilité du dernier maître, mais aussi et surtout pour prouver la validité et la solidité de son jugement. Dans le judaïsme, c’est une évidence, on cite ses sources et on le fait depuis Esther, la belle reine éponyme du livre qui a averti le roi Assuérus au nom de Mardochée qu’un complot se tramait contre lui et qui, ainsi, lui a sauvé la vie.
L’intellectuel lumineux et le fin talmudiste réunis en la personne de Gilles Bernheim ignoraient-ils cela ? Qui le croira ? Et que s’est-il passé ?
Le poète a toujours raison depuis Aragon et il va nous aider à comprendre. Il habitait à l’Isle-sur-la-Sorgue, dans ce coin de Provence rurale où les ciels bleus sont si profonds. Il habitait aussi un pays idéal dont le poème décrit les qualités, un pays qui le fit entrer en Résistance, qui fit de lui l’ami des plus grands intellectuels de son temps et cette terre mentale et féconde avait pour nom : la Poésie.
Le rabbin a lui aussi un pays réel, c’est la Savoie de son enfance à Aix-les-Bains, la colline de Tresserve chère à Lamartine, la belle vue sur les eaux pures du lac du Bourget et au loin les hauteurs diaphanes de Saint-Jean ; c’est Strasbourg, Strasbourg-en-France et l’Alsace de sa jeunesse, berceau d’un judaïsme aux racines profondes qui donna à la France et à Israël le meilleur de ses filles et de ses fils. C’est encore et très probablement Paris. Mais il porte aussi en lui un pays idéal, un pays mental, celui qui est circonscrit par un canon biblique, par un Talmud et une littérature foisonnante au cours des siècles, qu’il a expliqués, commentés, éclairés dans l’originalité de sa vision, de son verbe et de sa voix, inlassablement et pendant près de 40 ans pour tous les membres de la Communauté qui le sollicitaient. Les cours dispensés, les notes prises, les enregistrements réalisés, les émissions diffusées dans la liberté, la générosité, la gratuité, le don de soi, l’abondance, pour le bien de tous les croyants et de ceux qui le sont moins lui permettraient de dire avec le poète :

« Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays ».
Et par la liberté de conscience et le respect d’autrui qui entourent toujours ses interventions, il pourrait poursuivre :

« Les branches sont libres de n’avoir pas de fruits. » 
Face à cela et sans vouloir justifier ce qui ne mérite pas de l’être, les plagiats qui ont été pratiqués sont certes des erreurs, mais ils sont en nombre limité et dans l’économie de l’échange, le compte n’y est pas car ce qui a été dérobé est insignifiant par rapport à ce qui a été donné et la sanction prononcée qui laisse penser de façon perverse que le vol littéraire était une méthode structurelle et habituelle du travail de la pensée du rabbin est sévère et injuste.
Par ailleurs, qui peut nous dire que les auteurs dont les textes ont été empruntés désapprouvent la démarche du Grand Rabbin ? Les vivants comme les ayants-droits des auteurs décédés n’ont pas réagi ou ont montré un certain agacement – car la première réaction du rabbin avant les excuses consécutives avait été maladroite – sans aller toutefois jusqu’à porter l’affaire en justice ou demander la démission du Grand-rabbin. Et entre nous, il en est un, de là où il se trouve, au paradis, dans le jardin des Idées, qui a dû bien rire en constatant que son texte sur l’humour avait une profondeur et une portée messianiques insoupçonnées : c’est le grand et bon Jankelevitch, que son souvenir soit une bénédiction, Wladimir alias Eliyahou Hanavi ou Saint-Jean Baptiste, au choix car il citait beaucoup les auteurs chrétiens anciens dans ses fulgurantes démonstrations… !
Quant au document relatif au mariage pour tous et à l’emprunt d’un texte par le Grand Rabbin, l’auteur très magnanime du texte emprunté ne lui en a pas tenu rigueur, regrettant simplement l’absence de guillemets au début et à la fin de sa production. En vérité, ce document montre une identité de vue parfaite et profonde entre l’Eglise et la Synagogue au sein de la Fraternité d’Abraham et la fusion au sein d’un même document de textes de provenances diverses – et quoi qu’en disent certains esprits chagrins – est la marque évidente de cette convergence et de cette complémentarité. Oui, le Pape Benoît XVI, reconnaissant, a remercié et ne s’est pas dédit. Et notre cher poète d’ajouter, ne croyant pas si bien dire :

« On n’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté. »
Venons-en à la seconde expression-clé : usurpation de titre. C’est vrai. Le Grand Rabbin s’est laissé dire et a laissé dire pendant des dizaines d’années qu’il était détenteur d’une agrégation de philosophie. Titre prestigieux certes mais moins que celui de Grand Rabbin de France car des agrégés de philosophie, il y en a beaucoup alors que les grands rabbins de France, honoraires et en exercice, se comptent sur les doigts de la main. Et ils sont moins nombreux que les présidents de la République. En revanche et en passant, il faudra un jour remercier Gilles Bernheim d’avoir peut-être fait prendre conscience à la bureaucratie israélienne en général et au Ministère de l’Education (misrad hahinoukh) en particulier, hermétiquement enfermé dans le un – deux – trois – soleil du Toar rishon – chéni – chelichi, de l’importance accordée en France et à juste titre à un concours difficile dont la réussite auréole les étudiants les plus brillants. Et plus généralement, lorsqu’un nouvel immigrant français se présente au misrad hahinoukh, il devrait pouvoir bénéficier de la même bienveillance relative à ses diplômes que celle qui est accordée à un citoyen israélien d’origine russe ou arabe. 
Mensonge par omission donc, qu’il n’avait jamais démenti avant ces derniers jours et on peut penser a contrario que si un mensonge négatif le concernant avait été colporté, il eût très vite rétabli la vérité. Quant aux explications qu’il a données, certes frappées au coin de la sincérité, elles sont personnelles, psychologiques mais dénuées d’une portée un tant soit peu collective qu’on attendrait de la part d’un rabbin de cette envergure. On retiendra uniquement l’importance considérable que l’agrégation de philosophie avait à ses yeux.
Dans un cas de ce genre, on se demande toujours de façon un peu prosaïque de quelle façon le mensonge a profité à l’intéressé. Les profits peuvent être de deux sortes : matériels et immatériels. Tout d’abord, le fait de laisser dire qu’on est détenteur d’un titre ne signifie pas qu’on a fabriqué concrètement un faux diplôme afin d’en faire usage pour obtenir un poste. Et au vu de son curriculum vitae, le Grand Rabbin Bernheim ne semble pas avoir enseigné dans un établissement scolaire ou universitaire qui l’aurait rétribué en tant qu’agrégé et en fonction d’une grille indiciaire officielle. Il n’y a donc pas eu, selon toute probabilité, d’enrichissement personnel frauduleux.
Profit immatériel ? Peut-être mais il est très difficilement évaluable et prouvable, surtout dans ce cas précis car qui pourra affirmer avec certitude qu’au cours d’un entretien d’embauche ou d’une élection, l’exploitation fautive du prestige de l’agrégation de philosophie a été déterminante par rapport aux qualités intellectuelles et professionnelles du candidat et a finalement emporté la décision sur le ou les autres candidats ? En outre, dans le monde rabbinique en particulier, une agrégation – qui plus est de philosophie ! – est loin de jouir du prestige dont elle bénéficie à l’extérieur et elle présente  même par certains côtés un véritable handicap…
Cette usurpation de titre n’est en réalité et d’un point de vue juridique qu’une vraie fausse usurpation qui ne se fonde que sur le mensonge initial, certes bien réel mais considérablement grossi et diabolisé par une  presse malveillante qui s’est déchaînée de façon irrationnelle contre le Grand Rabbin de France dans le cadre d’un contexte national délétère illustré par une autre affaire. Car mensonge pour mensonge, qui, au cours des derniers mois s’est indigné lorsque le chef de file des Indignés – paix à son âme – mentait lorsqu’il laissait dire, entendre et croire qu’il avait participé, aux côtés de René Cassin à la rédaction de la Charte des droits de l’Homme ? Peu de monde et surtout pas la presse, à telle enseigne que les personnalités qui avaient été des témoins historiques à des titres divers de cet acte majeur d’après-guerre avaient été obligées d’adopter un profil bas pour rétablir la vérité ?
Alors pourquoi le silence de la compromission entourant l’Icône laïque et pourquoi le déchaînement et le lynchage médiatiques concernant le Grand Rabbin ? Pourquoi ce « deux poids, deux mesures » ?
La presse, autiste et idéologiquement aveuglée quand il s’agit des Juifs et d’Israël est mauvaise juge ; le pouvoir, agacé par le militantisme du rabbin lors du débat sur le mariage pour tous, s’est prononcé mais cette affaire eût pris une tournure différente si le Rabbinat – et ce sera notre troisième mot-clé –  n’avait pas été divisé et s’il avait fait corps avec son chef dans l’adversité. Il n’en fut rien.
Dans le pays du poète, 
« Il n’y a pas d’ombre maligne sur la barque chavirée ».

 
 Ses contradicteurs  sont des « adversaires loyaux ». Commentant ce verset, Paul Veyne écrit :
« Le monde réel n’est pas loyal, il est polémique et retors ; les hommes s’y battent entre eux, pas de façon loyale (car chaque adversaire veut gagner à tout prix), et les choses contre lesquelles ils luttent leur réservent des surprises perfides ; […] ; les hommes font leur histoire, mais ils ne savent pas quelle histoire ils font […]. »*
Dans le cas présent, la loyauté interne consisterait à faire le départ entre les idées et les hommes et  pour chacun à dire à son prochain : « J’ai ma propre conception des choses mais si tu ne penses pas comme moi, tu restes mon ami »
Ou bien :
« Je ne pense pas comme toi mais je me battrai jusqu’au bout pour que tu aies la possibilité d’exprimer et de faire vivre tes idées. »
 Ce n’est malheureusement pas le cas ici et un adversaire « politique » ne peut pas être un ami et doit être combattu. La ligne de fracture entre les deux conceptions communautaires, louables toutes les deux au demeurant et incarnées par les rabbins Bernheim et Sitruk a refait surface dans toute son acuité. Elle crée des dissensions interpersonnelles car les individus, agités par la concurrence des égaux et mus par des intérêts de toutes sortes s’inscrivent dans la chaîne vicieuse du manipulateur manipulé, perdent leur liberté, usent du rapport de force, ne parviennent plus à ménager entre eux ce sas protecteur de sympathie et de respect qui est le garant de la relation si précieuse avec autrui. Et l’ensemble est fragilisé.

 « Bonjour à peine est inconnu dans mon pays »,
dit le poète pour qui la présence de l’autre est primordiale et mérite accueil, ouverture et chaleur avant toute autre considération.
En réalité, la mise en congé du Grand Rabbin est une défaite pour toute la Communauté et quand les exhalaisons fétides et les lamentations apitoyées se seront tues, on mesurera l’ampleur du désastre dans les consciences comme dans les structures. S’il y a victoire pour les uns, c’est une victoire à la Pyrrhus et comme dit le poète :

 « On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur. »
 Alors que faire, sinon voir la Vérité, demander la Justice et retrouver l’amour du Prochain ? 

 « La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie », écrit René Char. Confrontés depuis deux millénaires à la nuit de l’exil et à l’attente d’un Libérateur, nous comprenons ces mots et  courageusement et au fond de nous, nous sommes capables de distinguer, sans les prismes déformants, falsificateurs et funestes des imaginations du malheur, les étincelles de vérité qui doivent nous guider vers le monde qui vient.
La Justice, la vraie Justice, celle que le Ciel nous enjoint de poursuivre, doit reprendre ses droits dans l’honnête, sage et mûre estimation des raisons et des torts et elle n’hésitera pas à revenir à la situation précédente si elle estime que les charges retenues ne justifient pas la rigueur.

Quant à nous, faisons vivre notre pays réel à l’image du pays idéal que nous portons en nous. Réapprenons à vivre dans la douceur des choses, réapprenons à dire bonjour, à dire merci et rappelons-nous  que le pardon divin ne vient qu’après le pardon humain.
Qu’il vive ! 
Et que l’Eternel soulage toutes les souffrances. Qu’Il étende la paix sur toutes les femmes et sur tous les hommes de bonne volonté !
                                                                                                                                                 Samuel Nathan

*René Char, La Sorgue et autres poèmes. Dossier du professeur,
établi par Paul Veyne, Professeur au collège de France. Hachette Education, page 37

  

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